Échanges commerciaux (Epoque moderne) | Salvemini, Biagio

Échanges commerciaux 428 demande très fragile, paysans et propriétaires plantent et déplantent, défrichent les pâtures ou les restituent aux moutons, attaquent les bois ou laissent les champs cultivés redevenir sauvages, font remonter l’agriculture sur les flancs des mon- tagnes ou la laissent se réfugier dans le fond des vallées. À côté des maisons de marchands situées dans les grands ports, une foule de sujets gère les échanges commerciaux. Il faut les chercher dans des lieux parfois dépourvus d’équipements portuaires, commerciaux, et quelquefois même sans aucune habitation, dans des « ports ruraux » éphémères, qui s’activent dans une phase et disparaissent dans la suivante. Là, une multitude de pratiques et d’ac- teurs, d’institutions et de cultures marchandes sont à l’œuvre : des plus formali- sés aux plus flexibles, informels, interstitiels. Des circuits commerciaux, s’étant structurés à travers des normes, des identités sociales et des rapports de pouvoir bien définis, se croisent et se superposent à d’autres. Circuits où le rôle des mar- chands se confond avec celui des marins, où les solidarités parentales et locales deviennent déterminantes, où les procédures sont souvent inventées au cours même de l’échange, et où les ambiguïtés des rapports contractuels sont alimen- tées et utilisées pour contourner des rapports de force défavorables ou réduire les risques découlant de la fiabilité incertaine des interlocuteurs. On s’adresse à ces derniers en utilisant la lingua franca et un savoir, l’ ars mercatoria , qui incluent, à côté de connaissances en matière technique et de communication, des compé­ tences situées à cheval entre la conquête de profit d’intermédiation et l’escro- querie pure et simple. C’est par cette voie qu’une multitude d’acteurs de petite envergure et aux vertus incertaines sortent des « mouvements browniens » du commerce et entrent dans les grands circuits de l’échange. De petits, voire parfois de minuscules villages côtiers – à la fin de l’époque moderne, Saint-Tropez et La Ciotat en Provence, Parghelia, Bagnara et Scilla en Calabre, Laigueglia et Porto Maurizio sur la côte ligure, les nombreux centres côtiers de la mer Ionienne et de l’Adriatique appa- rus au fur et à mesure que les Vénitiens perdaient le contrôle sur ce qu’ils appe- laient le golfe de Venise – font donc concurrence aux grands centres marchands. Ainsi, au xviii e siècle, les Autrichiens en construisent un, Trieste, avec des pré- tentions d’hégémonie. Mais ce grand centre ne parvient pas à dominer les lieux avec lesquels il commerce, et peut être même colonisé le cas échéant, comme le déplorent marchands et fonctionnaires locaux, par des Grecs arrivés récemment en ville avec un sac de figues sèches sur les épaules. Il y a donc tout un vaste monde méditerranéen très éloigné des fastes de la civilisation de l’échange mais loin d’être exclu des jeux du marché. Beaucoup se plaignent même de l’« arrogance » d’un marché qui bouleverse les équilibres pro- ductifs et sociaux, en empêchant la « progression structurée » qui, dans les socié- tés bien organisées, commercialise uniquement les biens dépassant les besoins

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