Décolonisation | Rappas, Alexis

Décolonisation 344 marxiste remettant en cause la réalité même de l’indépendance des anciennes colonies. La décolonisation, selon cette perspective, n’a en réalité rien changé dans les rapports de dépendance économique et politique entre les anciennes métro- poles – le « centre » – et les anciennes colonies – la « périphérie ». En d’autres termes, la décolonisation aurait été relayée par un phénomène de néocolonia- lisme constatable également sur le plan culturel avec la dominance de la langue du colonisateur au niveau de l’appareil de l’État et de l’éducation, du moins tem- porairement (voir les politiques de réarabisation dans le Maghreb). Les tenants de la théorie de la dépendance ou du « système-monde » soulignent la perpé- tuation de l’asymétrie des échanges économiques et commerciaux entre les pays « du Nord » qui importent des matières premières des pays « du Sud » auxquels ils revendent des produits manufacturés. Ces relations inégales, désormais auto­ entretenues (cycle de sous-développement), seraient d’origine coloniale (voir par exemple le pacte colonial français) et auraient reçu une validation juridique dans les divers accords industriels et commerciaux bilatéraux entre les métropoles et leurs colonies nouvellement indépendantes, ainsi que dans les préceptes édictés par des organisations internationales dominées par les puissances occidentales. Ces inégalités économiques ont alimenté un dense flux d’émigration des pays « du Sud » vers les pays « du Nord », occasionnellement encouragé par les industries occidentales lors des « Trente Glorieuses » (1945‑1973) et dont la tra- jectoire a longtemps été déterminée par les anciennes relations coloniales : de nombreux Marocains, Tunisiens et Algériens viennent ainsi travailler en France dès les années 1950. Cette présence suscite parmi les populations métropoli- taines des inquiétudes, des réactions de rejet, parfois violentes, de plus en plus organisées par des partis xénophobes et instrumentalisées, par intervalles, par les gouvernements en place, notamment dans les situations de crise économique. À partir des années 1980, des analyses, souvent interdisciplinaires, informées par la critique postcoloniale se sont intéressées à ce qu’elles perçoivent comme des inerties et des réflexes coloniaux au niveau tant de l’appareil de l’État que de la culture populaire dans le traitement discriminatoire vis-à-vis des travailleurs postcoloniaux, qu’ils soient naturalisés ou non. Face à l’ambition programma- tique mais ineffective des anciennes puissances coloniales en vue de poser les fondements d’une société « multiculturelle » au sein de l’Union européenne, cette critique appelle donc une « décolonisation des esprits », selon l’expression de l’écrivain kényan Ngugi wa Thiong’o. Implicitement donc, ce sont la portée heuristique et la neutralité politique supposée du concept même de décolonisation qui sont récusées par ces analyses. De fait, ne serait-ce qu’en tenant compte des vifs débats qu’elle alimente tou- jours dans la sphère publique en rapport avec les thématiques de l’immigration et de l’intégration, la décolonisation reste un processus inachevé. Du point de

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=