Conversion | Abécassis, Frédéric

Conversion 305 en Méditerranée orientale et en Afrique du Nord un espace francophone et un espace commercial en partie régulés par un droit international qui fonc- tionnait en français. C’est en tout cas celui auquel s’étaient massivement ral- liées les « communautés » juives et catholiques. Mais l’époque où les rabbins d’Algérie emmenaient eux-mêmes les petites filles juives à l’école de la mis- sion catholique voisine était révolue. Depuis le milieu des années 1920, des affaires de conversion avaient accompagné la diversification de l’offre, chaque instance communautaire légitimant son rôle et son autorité par le fait qu’elle offrait à ses membres (notamment les plus modestes) la possibilité d’accéder à un enseignement en français. C’est ce qui explique le changement de péri- mètre de ces « communautés », véritables nations en devenir : la scolarisation des plus démunis supposait l’adhésion sans faille des élites et des classes moyennes. D’une certaine manière, les communautés juives et catholiques s’étaient toutes « converties » aux nouvelles conditions d’un marché unifié sous bannière fran- çaise ; mais la traversée de la frontière d’un segment du marché à l’autre était devenue une transgression. La conversion exprime dans ce contexte toutes les contradictions et les difficultés de l’incorporation de ces appartenances. Elle exprime, en ce début des années 1930, la difficulté à rester citoyen-ne du monde dans le cadre, devenu rigide comme un carcan, des États-nations. Individus, communautés et esprit du temps Ainsi posée, la conversion peut apparaître comme un lieu d’observation privi- légié de phénomènes engageant l’avènement de la modernité et les processus de construction identitaire en Méditerranée. Des épisodes aussi divers que des mouvements messianiques ou mystiques, ceux que l’on désigne habituellement par ces processus d’acculturation, et ces moments si particuliers de « retourne- ment » des « acculturés » contre ce à quoi ils ont pu adhérer avec ferveur : le retournement de protégés français contre la mise en place du protectorat au Maroc en 1912, le refus d’Églises dites « uniates » de voir se poursuivre la lati- nisation de leurs fidèles ; les phénomènes d’avant-garde, d’engagement militant ou de dynamiques révolutionnaires destinées à faire émerger un « homme nou- veau »…Tous ces événements peuvent être analysés comme autant de modali- tés particulières de conversions. De façon peut-être paradoxale, on soutiendra l’idée que la conversion ne doit pas être vue comme un simple retournement ou un changement d’identité, mais qu’elle peut être au contraire vécue et qu’elle doit être lue comme une forme de préservation de celle-ci ; et que cette reconfiguration identitaire, dont la conver- sion est la manifestation, concerne autant le/la converti-e lui/elle-même – elle

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