Conversion | Abécassis, Frédéric

Conversion 303 communauté ; l’archevêque de Besançon, dont cette congrégation dépen- dait ; la Délégation apostolique, en voie de devenir nonciature, les consulats d’Italie soutenant encore plus fermement depuis les accords du Latran (1929) le souhait du Saint-Siège d’avoir une diplomatie autonome en Orient, déta- chée de celle de la France. Au-delà de ces autorités instituées, qui prétendaient toutes avoir voix légi- time au débat, il faut mentionner l’irruption dans la polémique de journalistes, publicistes et juristes agissant pour les uns au nom d’un judaïsme offensé et pour les autres au nom d’une « Union catholique » outrée de voir une reli- gieuse ainsi menacée par un représentant de la France laïque. Les premiers firent appel à l’opinion publique locale, les seconds à la direction des Affaires religieuses du Quai d’Orsay. L’affaire atterrit au cabinet d’Aristide Briand, qui fut bien en peine de trancher entre des communautés considérées comme les plus fidèles clientes de la France en Orient. La religieuse, dûment mise en garde, ne fut pas expulsée, et le grand rabbin du Caire fut décoré de la Légion d’honneur l’année suivante. Ce que montre une telle affaire, c’est qu’une conversion, aussi anodine et intime soit-elle, peut très vite revêtir un enjeu politique, et que la polémique dessine un champ dont les contours se tracent au fil de l’intervention des acteurs. À ce titre, il est significatif que cette affaire, impliquant des relations entre « minoritaires », ait été jugée hors du champ politique par les autorités égyptiennes. Deux ans plus tard, il en alla tout autrement lorsqu’une accusa- tion d’avoir converti au christianisme des élèves musulmans pesa sur l’univer- sité américaine du Caire. La polémique fournit aussi l’occasion d’exprimer l’unanimisme de deux « communautés » fortement clivées entre des autorités concurrentes, dont les membres pouvaient balancer entre de multiples allégeances. Mais elle tend surtout à changer les modalités d’appartenance à ces communautés. On n’en est plus membre parce que la tradition ou le statut personnel le supposent ou le prédéterminent, mais par un acte volontaire d’engagement. D’une certaine manière, la conversion de ces jeunes filles fait apparaître deux nations symé- triques en construction dans cette Égypte libérale, l’une et l’autre exclues du champ politique par l’émergence de l’État-nation égyptien. Les communau- tés juive et catholique qui se donnent à voir au fil de la polémique ne peuvent pas se réduire aux communautés israélites du Caire ou d’Alexandrie et à leurs instances reconnues par l’État, et pas davantage aux différentes Églises de rites orientaux unies à Rome. Elles sont clairement l’expression de dynamiques natio- nales en gestation, dans des classes moyennes que, précisément, la langue, le type de métiers exercés, les quartiers de résidence permettaient de moins en moins de différencier.

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