Conversion | Abécassis, Frédéric

Conversion 300 le laxisme des autorités ottomanes qui ne se sont jamais véritablement pré- occupées de vérifier la sincérité des conversions à l’islam des fidèles de Shabbataï Zvi (les dömne ), ni de sanctionner les apostats. Sans doute suffisait-il, en contrepartie, de confiner les convertis dans un espace fermé par rapport au reste de la société, la dimension ethnique, culturelle et identitaire l’empor- tant sur la dimension religieuse. De même, les « musulmans chrétiens » de la fin de l’Algérie française relevaient du second collège électoral, c’est-à-dire que la conversion d’indigènes au catholicisme ne suffisait pas aux yeux de l’administration française du début des années 1950 à leur ouvrir les portes d’une citoyenneté pleine et entière. Il est tout aussi difficile de dégager une typologie stricte des conversions, et les deux couples, conversions individuelles versus conversions collectives ou conversions forcées versus conversions volontaires, constituent plutôt des pôles idéal-typiques entre lesquels peut se décliner une variété infinie de situa- tions. La conversion peut être l’expression d’une injonction violente ne lais- sant d’autre alternative que l’exil ou la mort. Des règnes comme celui du calife al-Hâkim en Égypte (996‑1021) ou de la dynastie almohade au Maghreb (xii e -xiii e siècle) ont constitué des étapes marquantes du recul du christia- nisme en terre d’Islam, s’accompagnant d’une injonction pour tous à respecter une stricte orthodoxie. De même, la disparition du judaïsme et de l’islam de la péninsule Ibérique au terme de la Reconquista fait indéniablement figure de modèle de conversion collective. Mais tout dépend de l’échelle à laquelle on appréhende le phénomène : les attaques contre les communautés juives et les conversions forcées furent fréquentes dans le Moyen Âge occidental ; mais nulle part ailleurs qu’en Espagne elles n’ont donné lieu à un phéno- mène aussi massif de conversions, ni conduit à un effondrement du judaïsme en aussi peu de temps. La conversion volontaire, pour des raisons diverses et pas forcément intéressées, des élites du judaïsme de la péninsule, y a joué un rôle majeur. À l’image de Shlomo Ha-Lévy, rabbin de Burgos, converti à une date incertaine qui a peut-être précédé les « baptêmes sanglants » de l’été 1391, devenu archevêque sous le nom de Paul de Burgos, tout un milieu, parmi les élites économiques et intellectuelles juives de la cité, a décidé de se faire chré- tien et a bénéficié, au tournant du xv e siècle, d’un accueil exceptionnel dans la société politique de Castille. La validité de conversions obtenues de force a néanmoins toujours été sujette à caution. Face à un islam qui proclame « pas de contrainte en matière de religion » (Coran, II, 256), à un monde chrétien qui voit le pouvoir temporel prendre ses distances avec le pouvoir spirituel, et à un monde juif qui a, depuis le iv e siècle, perdu toute dimension prosélyte, la conversion tend à minimiser le rôle de la pression sociale et se donne le plus souvent, notamment à l’époque contemporaine, l’apparence d’un engagement

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