Contrebande | Correale, Francesco

Contrebande 292 Dans l’histoire de la Méditerranée, des configurations géopolitiques et his- toriques équivalentes à celles décrites se reproduisent à toutes les époques. Sans vouloir prétendre parcourir toute l’histoire de la contrebande dans le bassin médi- terranéen, on peut essayer d’en ébaucher les traits principaux. Le délit de contre- bande naît au moment où les premières entités proto-étatiques et étatiques se constituent avec l’Égypte, les polis grecques, l’Empire persan et les villes phéni- ciennes y compris Carthage. Les sources pour écrire une telle histoire sont assez rares. Un blocus économique avait été décrété par Sparte pendant les guerres du Péloponnèse, favorisant un commerce de « contrebande » dans les autres villes et qui finissait par ravitailler Athènes également (Thucydide). Dans les Verrines , Cicéron accuse le préteur en Sicile Caius Licinus Verres d’employer un navire dont la ville de Messana (Messine) lui a fait cadeau pour transporter illicitement des marchandises (argent, pourpre, ivoire et surtout grain), qu’il introduit en fraude douanière par le port de Syracuse. On peut imaginer qu’il y eut également des phénomènes de contrebande pendant la période impériale, avec des fraudes douanières comme celles indi- quées par Cicéron, et des commerces qui devaient se faire avec les ennemis de Rome, notamment au moment de l’effondrement de l’Empire. Mais c’est au Moyen Âge européen qu’a lieu l’événement le plus marquant pour le dévelop- pement des trafics considérés comme illicites, à savoir la naissance de l’islam au vii e siècle et l’établissement d’un empire musulman qui fournit un cadre éta- tique à plus de la moitié du bassin méditerranéen. De fait, l’apparente coupure politico-religieuse en deux de la Méditerranée provoque la naissance de têtes de pont des marchands chrétiens, juifs et musulmans qui défient les interdictions au commerce des sultans ou des papes. Les Baléares, Malte, Chypre deviennent ainsi les carrefours des liaisons Nord-Sud, les ports où l’on change de navire ou de pavillon pour ne pas encourir la confiscation. Tout en affichant leur respect pour les interdictions prononcées par les autorités politiques et religieuses, les marchands suivent d’autres codes qui leur sont plus convenables, profitant de l’incertitude législative du moment. Ainsi, au xi e siècle, les Vénitiens ravitaillent en bois de contrebande les chantiers navals fatimides qui viennent de perdre la Sicile et une partie de l’Ifriqiya, leurs fournisseurs traditionnels. Deux siècles plus tard, à Gênes, un Officium Robarie est constitué pour indemniser les navi- gateurs ayant subi des pertes provoquées par des corsaires génois. Cependant, cet office devient rapidement un abri pour les marchands qui font un com- merce interdit avec l’Égypte mamelouke et qui se voient dédommagés en cas de perte due à une saisie en mer. Car à cette époque, malgré les bulles pontificales qui l’interdisent, les Génois font du commerce avec les Égyptiens, important en Europe les denrées indiennes qui arrivent à Alexandrie et exportant dans le pays africain bois, fer, armes, navires, poix, chanvre et esclaves capturés par leurs

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