Contrebande | Correale, Francesco

Contrebande 291 Si l’on s’en tient aux deux significations que les Vénitiens en donnaient au xvi e siècle, on peut affirmer que le phénomène de la contrebande se développe en présence de certaines conditions géopolitiques, économiques et historiques. L’existence d’États faibles ou avec un important taux de corruption des fonction- naires et, par conséquent, des frontières mal contrôlées semble être une condition sine qua non pour l’entrée de marchandises en fraude douanière. Des situations géopolitiques singulières peuvent aussi faciliter l’émergence du phénomène : il suffit de penser aux enclaves territoriales dont les populations font facilement du commerce quotidien transfrontalier en dehors des circuits officiels. Cela est d’autant plus vrai en état de guerre lorsque, au moment de l’occupation d’un point de la côte – qui devient enclave –, malgré l’emprise militaire, le territoire attaqué continue à maintenir des liens serrés avec les populations des régions environnantes qui résistent à l’invasion. De fait, la présence d’une situation de conflit – local ou international – est un autre facteur qui favorise le développement des trafics considérés souvent comme douteux : la violation des interdictions d’exportation ou d’importation de marchandises d’un pays belligérant, ou vers lui, constitue l’un des cas les plus flagrants de contrebande. Cependant, l’interprétation de la notion de contre- bande peut s’avérer problématique pour les pays qui restent neutres et font du commerce avec les deux parties en guerre. Celle qui est communément indiquée « contrebande de guerre », et qui est définie au Moyen Âge negotia prohibita, vetita ou simplement devetum , trouve déjà une formulation au xvii e siècle par le juriste néerlandais Hugo Grotius, qui fait une distinction entre la « contre- bande de guerre absolue », dans laquelle il comprend les marchandises à utili- sation exclusive de la guerre, et la « contrebande de guerre relative » concernant les marchandises qui peuvent servir soit pour un emploi civil, soit pour un usage militaire. La déclaration de Paris du 16 avril 1856, signée par les plénipoten- tiaires qui, deux semaines auparavant, avaient participé à la conférence met- tant fin à la guerre de Crimée, essaie de statuer sur une certaine régulation du commerce essentiellement maritime des pays neutres en temps de guerre. Elle fixe que « le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, à l’exception de la contrebande de guerre » et que « la marchandise neutre, à l’exception de la contrebande de guerre, n’est pas saisissable sous pavillon ennemi ». Cette tenta- tive de réglementation se précise dans la Déclaration relative à la guerre maritime, signée à Londres le 26 février 1909, qui reprend la distinction floue de Grotius pour établir des listes de marchandises constituant la « contrebande de guerre absolue » (art. 22) et la « contrebande de guerre conditionnelle » (art. 240). Il faut dire que, durant les deux conflits mondiaux, les listes des marchandises de contrebande absolue étaient de plus en plus longues avec l’inclusion de « mar- chandises neutres », limitant davantage le commerce des pays non belligérants.

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