Conflit | Sintès, Pierre; Cattaruzza, Amaël

Conflit 275 voisinage, lancée en 2004, dans laquelle les pays de la Méditerranée sont inclus. Mais les résultats d’une telle politique ne sont pas toujours tangibles. La situa- tion économique demeure déséquilibrée et le revenu moyen du Sud n’excède toujours pas 30 % de celui du Nord. Les tendances seraient même plutôt à la divergence : entre 1994 et 2004, le pib par habitant des pays de l’Union a doublé, s’élevant à plus de 30 000 dollars us en moyenne, alors que celui des pays de la rive sud a stagné autour de 5 000 dollars us. Ce contraste persistant affecte aussi les indicateurs démographiques : les Indices de développement humain ( idh ) des pays de la rive sud sont toujours au-delà du 80 e rang mondial alors que ceux de la rive nord sont régulièrement dans les 25 premiers (sauf Albanie et Bosnie-­ Herzégovine) ; entre 1950 et 2000, la population des pays du Nord a augmenté de 50 %, celle des pays du Sud de plus de 150 %. Ces disparités demeurent des sources de tensions ou de conflits latents entre pays des deux rives dont les flux migratoires seraient la résultante autant que la soupape de sécurité. Ces mouve- ments de population sont aussi très meurtriers (15 000 à 20 000 morts depuis 1988) et peuvent avoir des conséquences sur les représentations politiques. Rémi Leveau relevait la manière dont les migrations en Méditerranée pouvaient relayer un imaginaire de conflit ; l’exclusion dans les pays du Nord de migrants souvent issus du Sud étant la base de ce processus. Même si la radicalisation ne concerne qu’une minorité, cet imaginaire se répand au point de polluer les représenta- tions mutuelles, et d’éloigner un peu plus les populations. Plus concrètement, des conflits opposent parfois les États à propos de la gestion des flux, dont la bonne tenue conditionne même à présent les aides économiques octroyées par l’Union européenne à ses voisins méridionaux. Mais ces déséquilibres méditerranéens doivent pourtant être nuancés, car ils ne dessinent pas toujours deux aires uniformes. Les contrastes économiques s’insinuent à l’intérieur de chacun de ces pays. C’est le cas par exemple du Liban où 4 % des très riches accaparent le tiers du revenu national (Safi, 2003). Les oppositions Nord/Sud doivent ainsi être relativisées devant les transformations économiques en cours : la crise économique déclenchée en 2008 déséquilibre certains pays (Grèce, Bulgarie, Bosnie-Herzégovine) dont la stabilité politique semble désormais moins assurée. La tendance serait donc à la fragmentation en matière d’inégalités et de conflit potentiel, processus qui concernent plus globale- ment les sociétés du monde depuis les années 1990 (Roseneau, 1992 ; Appadurai, 2007 ; Sassen, 2009 ; Abélès, 2008), bouleversant les rapports d’échelles par la diffusion de la globalisation économique et de la gouvernance mondiale, par l’émergence de nouveaux types de rapports de force ou de violences opposant les « formes vertébrées » que constituent les États nationaux, aux « formes inver- tébrées » ou « cellulaires » des phénomènes diasporiques, des minorités actives ou d’autres forces structurées sur le mode réticulaire.

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