Colonisation | Sèbe, Berny

Colonisation 269 politique et l’occupation militaire (réservant la colonisation à d’autres régions de leur empire), la France, puis l’Italie récemment unifiée et une Espagne affai- blie en quête de rémission, allaient s’engager dans une voie différente, tentant de donner vie à la fiction d’un prolongement de leurs territoires sur les rives méri- dionales de la Méditerranée. Entre 1830 et 1912, toute la rive sud de la Méditerranée entre l’Égypte et le Maroc passe aux mains de quatre puissances européennes (France, Grande-­ Bretagne, Italie et Espagne), au prix de nombreuses tensions entre elles qui les poussent parfois au bord de l’affrontement armé. Le succès de la vision hégé- lienne de l’Histoire puis du darwinisme social et du spencérisme et la confiance apportée par le progrès technique, qui nourrissent la vague du « nouvel impé- rialisme » de la fin du siècle, favorisent le développement d’une vision triom- phante du principe de la colonisation. L’un de ses apôtres, l’économiste Paul Leroy-Beaulieu, écrit dans De la colonisation chez les peuples modernes (1874), que « l’émigration est un fait d’instinct, qui appartient à tous les âges des socié- tés ; la colonisation est un fait réfléchi, soumis à des règles, qui ne peut provenir que des sociétés avancées. […] Les peuples civilisés seuls colonisent ». De tels principes guideront l’action de la France dans sa colonie d’Algérie (qu’elle ne conquiert qu’au prix de dures campagnes étalées sur une trentaine d’années à partir de 1830) et dans une moindre mesure dans ses protectorats de Tunisie (1881) et du Maroc (1912), ainsi que celle de l’Italie en Libye, à partir de son annexion en 1911 à la suite de la guerre italo-turque. Les Espagnols par- viennent difficilement à imposer leur contrôle sur le Nord du Maroc, qu’ils ont obtenu grâce à l’appui de l’Angleterre désireuse d’éviter une présence française en face de Gibraltar. La colonisation française en Algérie et plus tard la colonisation italienne en Libye accordèrent une large place à la Méditerranée, l’assimilant volontiers à une « mer Intérieure » reliant les rives de métropoles élargies et transméditerranéennes (ce que renforçait le principe des trois départements d’Algérie à partir de 1848). Dans les deux cas, la redistribution des terres aux colons et la réorganisation terri- toriale reposaient sur le concept juridique de res nullius (« qui n’appartient à per- sonne ») qui niait les pratiques indigènes définissant la possession de l’espace. Plusieurs modèles de colonisation furent tentés en Algérie, au gré des évolutions politiques de la métropole. La « colonisation en gants jaunes » (ou « en gants beurre frais »), menée à bien par de jeunes aristocrates légitimistes peu après le débarquement de 1830, produisit quelques grands domaines mais fit long feu. Sous l’influence du maréchal Bugeaud à partir de 1844, la colonisation mili- taire s’inspirait de l’exemple des soldats agriculteurs des limes romains ; elle ne fut pas non plus couronnée de succès. Après l’épisode du « Royaume arabe » de Napoléon III, la Troisième République entreprit de franciser les populations

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=