Clientélisme | Briquet, Jean-Louis

Clientélisme 257 de l’examen d’échanges politiques circonscrits à celui de collectifs organisés (par- tis, administrations, voire « États clientélistes »). Elle a également incité à inflé- chir l’interprétation du phénomène. Celui-ci n’a plus été envisagé prioritairement comme un reliquat de conduites et de valeurs traditionnelles mais comme un facteur de dysfonctionnement du système politique. Il s’est agi alors d’en indi- quer les causes (carences de la « culture civique », monopolisation du pouvoir par des élites prédatrices), d’en évaluer les conséquences (aggravation de la cor- ruption, faible performance des institutions, absence de citoyenneté active) et de proposer des moyens pour le combattre (revitalisation de la société civile, renforcement des contrôles légaux et des contre-pouvoirs). Élaboré au cours des années 1980 – au sein notamment de la science politique comparée –, ce point de vue normatif s’est diffusé à la faveur de la préoccupation d’un nombre grandissant d’acteurs et d’institutions (organisations internationales, experts, fractions modernisatrices de l’État, milieux académiques, mouvements d’op- position, ONG , etc.) pour la « bonne gouvernance » et les moyens d’en appli- quer les préceptes. Le clientélisme s’oppose incontestablement à ces préceptes. Il s’accompagne d’un usage discrétionnaire des ressources publiques, qui contredit les règles de l’État de droit et celles de l’efficience collective. Il se fonde sur des échanges personnalisés et instrumentaux antithétiques de l’idéal civique. Le concevoir de la sorte amène toutefois à ne retenir du phénomène que ce qui le différencie d’un modèle politique par ailleurs largement idéalisé et à privilégier dans l’ana- lyse les raisons de cette différence. Plusieurs recherches récentes vont dans une autre direction. Elles soulignent la manière dont les échanges de clientèle parti- cipent à la transformation des sociétés politiques : en intervenant dans le fonc- tionnement concret des institutions ; en permettant à certaines populations de s’approprier des activités politiques (le vote, par exemple) en fonction de leurs propres intérêts et de leurs propres représentations sociales et culturelles ; en soutenant des formes nouvelles de la notabilisation et de la mobilisation, fon- dées sur une marchandisation accrue du lien électoral mais nourrissant aussi des identités politiques alternatives. Le clientélisme est utilisé ici, plutôt que comme une catégorie normative visant à repérer des « anomalies » politiques, comme un idéal type servant à analyser des réalités susceptibles de prendre des formes variées dans les différents contextes où il se manifeste. C’est dans cette optique – celle d’un opérateur de questionnement comparatif attentif à la diversité des expressions sociales et historiques des liens politiques et de leur soubassement matériel et symbolique – qu’il s’avère une notion réellement productive pour les sciences sociales. Jean-Louis Briquet

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=