Cités barbaresques | Lafi, Nora

Cités barbaresques 252 a aussi contribué à clarifier les rapports de cette société au monde extérieur, et surtout son fonctionnement interne complexe. Les études sur la notabilité tuni- soise ont permis d’éclairer les aspects relatifs à la gouvernance urbaine (Lafi, 2005), ainsi que ceux ayant trait à la propriété et à l’économie. On a pu mon- trer combien les villes de la côte barbaresque n’étaient en rien dans la seule inte- raction entre les différentes catégories des gens de la course ou de la piraterie et le monde extérieur, mais étaient également largement organisées autour d’une notabilité locale propriétaire et marchande (Hénia, 1999), servant de relais à une intégration impériale ottomane bien plus profonde que ne l’ont longtemps laissé entendre des descriptions fondées sur le rôle des castes militaires, des gouver- neurs et des dynasties locales. Tripoli à l’époque ottomane est l’objet de telles réévaluations. La ville est désormais lue sous forme certes de bastion de la course méditerranéenne, mais aussi comme comptoir marchand lié aux réseaux saha- riens et surtout comme ville à la société urbaine organisée selon un schéma don- nant aux marchands et propriétaires d’amples prérogatives de gestion urbaine, négociées avec la structure impériale ottomane (Lafi, 1999). Même la période des Qaramânlî, dynastie semi-autonome, est aujourd’hui vue comme une décli- naison spécifique de la vassalité ottomane jusqu’en 1835, date d’une réorganisa­ tion destinée à lutter contre la menace coloniale. La vision des « cités barbaresques » d’Afrique du Nord a, en somme, au cours des vingt dernières années, bénéficié d’un fort investissement historiographique qui en a changé la perception même. Si les clichés sur la course et la captivité demeurent, l’étude des sociétés urbaines de la région à la période ottomane a per- mis de se départir d’un certain nombre d’idées reçues construites entre Ancien Régime et période coloniale. Elle a aussi facilité une relecture de l’interaction entre rives nord et sud de la Méditerranée, autour de la notion d’espace partagé et surtout négocié. L’attention à la réalité sociale des villes côtières d’Afrique du Nord a aussi permis de sortir des schémas classiques, pour développer une vision largement plus articulée, fondée sur les notions d’un vivre-ensemble très codifié et d’une gouvernance locale de la diversité extrêmement ductile. Partant d’une situation que le terme même de « barbaresque » rendait caricaturale, tellement il est porteur de connotations péjoratives et culturellement datées, on a de nos jours une image nettement plus contrastée des sociétés urbaines locales. Seule aujourd’hui semble perdurer, héritage d’une sorte de consensus interprétatif entre visions issues de l’ère coloniale et idées nationalistes, une tendance à négliger l’as- pect ottoman des villes de la côte nord-africaine. L’empire est encore souvent vu comme une réalité extérieure et surimposée, alors que les indices sont nom- breux qui tendent à inviter à réévaluer les facteurs d’intégration, notamment autour de la délégation des fonctions de gouvernement urbain à la notabilité et autour de la définition des identités. Mais le renouveau actuel des archives

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