Chrétiens | Kaoues, Fatiha

Chrétiens 233 Une telle diversité qui témoigne de l’ampleur des querelles théologiques ne doit cependant pas tromper quant à ses soubassements. Il apparaît en effet que des motivations politiques pourraient justifier de telles controverses, sous l’appa- rence de la discussion théologique, révélant le refus de l’autorité de l’empereur. Telle est la thèse défendue par un auteur copte J. Thager, cité par Jules Leroy, qui affirme que « le schisme n’eut de religieux que le prétexte ». Dans cette pers- pective, les disputes théologiques fournirent à ces communautés recluses dans les marges de l’Empire, un prétexte pour desserrer quelque peu l’emprise de l’auto- rité centrale et gagner davantage d’autonomie. La vive conscience communautaire des chrétiens d’Orient et leur tendance au repli sur soi peuvent se comprendre du fait de leur histoire singulière. Leur constitution en millets ou nations opérée par l’Empire ottoman apporte des élé- ments de compréhension utiles à cet égard. Bénéficiant d’un statut de « pro- tégées » (dhimmi) , ces minorités étaient soumises au paiement d’un impôt, la jizya . Elles disposaient en contrepartie d’une législation spécifique et demeu- raient sur le plan légal sous la juridiction d’un patriarche qui les représentait officiellement auprès du pouvoir ottoman. Une telle organisation avait un effet cohésif accru par le sentiment de précarité induit par la condition minoritaire. Les chrétiens d’Orient, à l’exemple d’autres minorités religieuses en Orient, dis- posent aujourd’hui encore de leurs propres juridictions, en particulier en matière de droit familial. Par ailleurs, Constantinople ne put jamais, à l’exemple de Rome, disposer du prestige d’une métropole patriarcale incontestée, exemplifié par le témoi- gnage de foi d’apôtres martyrs tels que Pierre et Paul. De la sorte, le patriarcat d’Orient dut partager son influence avec de nombreuses institutions parallèles, comme celle de l’empereur (byzantin). Ainsi, dès le v e siècle, en Orient, des pro- vinces ne cessèrent de résister aux velléités unificatrices des autorités impériales et développèrent un pluralisme déroutant, marqué par une multiplicité de sièges épiscopaux et établirent souvent une contre-hiérarchie ecclésiastique, parallèle à celle de l’Église impériale. La conquête ottomane parachève le déclin de Byzance (1453), déjà amorcé avec la conquête de Constantinople par les Latins (1204), et approfondit la séparation entre les deux mondes. Les deux patriarcats tentent de s’unifier en de nombreuses occasions au cours des xiii e et xiv e siècles, jusqu’à la conclusion d’une déclaration d’union des deux Églises à Florence en 1439. Cette brève réunification est définitivement brisée lorsque Constantinople tombe aux mains des Turcs musulmans en 1453. Pendant de nombreux siècles encore, la Méditerranée demeure le centre du monde du christianisme, mais à partir du xvi e siècle l’apparition de la Réforme et ses fulgurants succès déplacent le centre de gravité quelque peu vers l’Europe du Nord et l’Atlantique.

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