Capitulations | Kenbib, Mohammed

Capitulations 203 des ponctions fiscales internes trop fortes, les États musulmans acceptaient en effet d’accorder l’ aman (sûreté et sauvegarde) aux étrangers dont les activités étaient jugées utiles pour leur Trésor et leur économie. L’« infidèle » étranger, qui n’était traité ni tout à fait comme un « croyant » ni comme un « dhimmi » autochtone, pouvait rester soumis aux lois de son pays et bénéficier d’un sta- tut d’exterritorialité. En cas de crime ou de délit, le consul de sa nation avait la faculté soit de l’assister devant les juridictions autochtones, soit de le juger. Les Capitulations apparaissaient ainsi comme l’« expression positive de la person- nalité des lois dans le domaine des faits internationaux ». Pareille exception était aisément compréhensible car, écrit Féraud-Giraud, « lorsqu’il existe entre deux peuples de très grandes différences sous le rapport des lois et des coutumes, des relations durables et suivies ne peuvent s’établir qu’autant que celui de ces peuples que son activité attire sur le territoire de l’autre y trouve des garanties exceptionnelles sans lesquelles il n’existe aucune sécurité ni pour les personnes, ni pour les biens ». L’évolution du rapport des forces au profit de l’Europe, favorisée par la révolution industrielle, allait altérer le schéma initial et générer toutes sortes de retombées négatives pour l’Empire ottoman et le Maroc. Les Capitulations allaient se muer, en effet, en instrument de conquête et, en se doublant de pro- tections religieuses, attirer, pour le compte des Européens, de larges segments des minorités ethno-religieuses autochtones. Le dynamisme de ces beratli -s (por- teurs de lettres patentes) était tel que Louis XV dut promulguer en 1727 une Ordonnance stipulant que « fait défense Sa Majesté à tous les marchands, pas- sagers, capitaines et maîtres de vaisseaux et bâtiments français de prêter leurs noms aux protégés et autres étrangers pour faire leur commerce de Levant et de Barbarie en France sous les peines de confiscation des marchandises, des bâti- ments et de trois mille livres d’amende ». L’ambassadeur Choiseul-Gouffier ne manqua pas de constater les acquis réa- lisés grâce aux Capitulations, déclarant en 1788 que « l’Empire ottoman [était] devenu l’une des plus riches colonies de la France ». Les sultans firent quasiment le même constat. Selîm III attribua ainsi les maux de l’Empire à l’extension des privilèges capitulaires. Le sultan Abdülmacid proclama pour sa part que « dans les premiers temps de la monarchie ottomane, les préceptes glorieux du Coran étaient une règle toujours honorée. En conséquence, l’empire croissait en force et en grandeur […] [mais], depuis cent cinquante ans, une succession d’acci- dents et de causes diverses ont fait qu’on a cessé de se conformer au Code sacré des lois […] ; la force et la prospérité antérieures se sont changées en faiblesse… Un empire perd […] toute stabilité quand il cesse d’observer ses lois ». Au Maroc, l’extension du régime capitulaire et l’accession d’un nombre accru de sujets autochtones, juifs et musulmans, aux immunités juridiques et

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