Camus, Albert | Fabre, Thierry

Camus, Albert 200 culture méditerranéenne » que défend Camus. Influencé par Gabriel Audisio, l’homme des Cahiers du Sud à Alger et auteur de Jeunesse de la Méditerranée , Camus affirme, lors de la conférence inaugurale de la Maison de la Culture à Alger, le 8 février 1937 : « Mais non. Ce n’est pas cette Méditerranée que notre “Maison de la Culture” revendique. Car ce n’est pas la vraie. Celle-là, c’est la Méditerranée abstraite et conventionnelle que figurent Rome et les Romains. » Et il ajoute : « Nous sommes ici avec la Méditerranée contre Rome. Et le rôle essentiel que puissent jouer des villes comme Alger et Barcelone, c’est de savoir pour leur faible part cet aspect de la culture méditerranéenne qui favorise l’homme au lieu de l’écraser. » L’horizon de pensée comme le projet politique que défend Camus sont exacte- ment là : sens de la mesure et échelle humaine. Le texte de présentation de la revue Rivages , « revue de culture méditerranéenne » qu’il fonde en 1938 avec l’équipe de la librairie Les Vraies Richesses, réunie autour de son premier éditeur Edmond Charlot, y ajoute une dimension cosmopolite : « De Florence à Barcelone, de Marseille à Alger tout un peuple grouillant et fraternel nous donne les leçons essentielles de notre vie. Au cœur de cet être innombrable doit dormir un être plus secret puisqu’il suffit à tous. C’est cet être nourri de ciel et de mer, devant la Méditerranée fumant sous le soleil, que nous visons à ressusciter, ou du moins les formes bariolées de la passion de vivre qu’il fait naître en chacun de nous. » Ces « formes bariolées » du monde méditerranéen ne sont pas mono­ lithiques et uniquement latines, mais elles ne reconnaissent pas encore vraiment une véritable place à la culture de l’Autre. L’universalisme de la culture républi- caine dans lequel a été formé Camus à l’école n’a pas appris à reconnaître ce qui n’est pas dans son schéma. Camus est un fils de son temps, et son temps à Alger dans les années 1930, année de la célébration du centenaire de la conquête de l’Algérie, est un temps colonial. Il ne peut y échapper. Aussi la Méditerranée qu’il défend, ouverte, attentive et même accueillante, reste-t‑elle une Méditerranée pensée et imaginée par des Européens. Or, le grand fracas de la guerre, et sin- gulièrement la répression massive de Sétif et Guelma après les manifestations du 8 mai 1945, vont profondément changer la donne. Un autre monde s’an- nonce et le temps de la conciliation, dont la Méditerranée que défend Camus pourrait être le symbole, est révolu. Il reste pourtant d’une grande clairvoyance, ses éditoriaux, dès mai 1945, dans le journal Combat en témoignent : « Sur le plan politique, je voudrais rappeler aussi que le peuple arabe existe. Je veux dire par là qu’il n’est pas cette foule anonyme misérable, où l’Occidental ne voit rien à respecter et à défendre. Il s’agit, au contraire, d’un peuple de grandes tradi- tions et dont les vertus, pour peu qu’on veuille l’approcher sans préjugés, sont parmi les premières. » Et le 18 mai 1945, il ajoute même : « J’ai lu dans un jour- nal du matin que 80 % des Arabes désiraient devenir des citoyens français. Je

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