Bibliothèque | Chapron, Emmanuelle

Bibliothèque 170 pour acquérir des livres accompagne la fondation d’autres grandes bibliothèques sur le pourtour méditerranéen, comme celles de Pergame et d’Antioche. C’est aussi la forge de nos légendes modernes, comme celle qui attribue l’invention du parchemin à Pergame privée de papyrus par la jalouse Alexandrie. Les transferts, copies et vols de livres constituent alors le monde hellénis- tique en un « système textuel polycentrique » (Luciano Canfora). De ce sys- tème, Rome devient progressivement un point nodal, à partir du moment – au ii e siècle av. J.‑C. – où les bibliothèques des royaumes vaincus, comme celle de Macédoine ou du Pont, ne sont plus redistribuées localement aux alliés, mais sai- sies comme butin de guerre et transportées dans la capitale. Recueilli, l’héritage hellénistique est aussi dépassé sur deux points. D’abord par un nouvel agence- ment spatial, qui réunit en une seule salle (ou plutôt en deux jumelles, grecque et latine) les fonctions précédemment séparées du magasin des livres et de la déambulation savante. Ensuite par l’invention de la « bibliothèque publique » dont l’archétype, depuis la fondation d’Asinius Pollio en 39 av. J.‑C., marque durablement la civilisation occidentale. Avec le théâtre, la place publique, le sanctuaire, la bibliothèque fait partie de ce système monumental constitu- tif du modèle de la cité qui domine à l’époque impériale tout le bassin médi­ terranéen, de manière relativement uniforme, d’Halicarnasse en Asie Mineure à Timgad la numidienne. Des destins séparés ? (iii e -xviii e siècles) La dislocation de l’Empire romain à partir du iii e siècle, puis la conquête musul- mane à partir du vii e siècle, provoquent l’écartèlement durable des modèles biblio- thécaires. En Occident, les bibliothèques « fermées comme des tombeaux » (selon le témoignage d’Ammien Marcellin, au iv e siècle) disparaissent des villes. C’est dans les milieux monastiques qu’elles se reconstituent, au rythme où le mona- chisme apprivoise la culture écrite et la monopolise, presque sans partage avec le monde séculier jusqu’au xii e siècle. Le phénomène est relativement septentrional : c’est moins en Italie que dans la moitié nord de la France, en Angleterre et dans le monde germanique, que se mettent en place des collections qui ne comptent tout d’abord que quelques dizaines, puis quelques centaines de volumes. Dans le monde musulman, au contraire, la force du phénomène urbain, l’essor de l’in- dustrie papetière à partir du viii e siècle, le rôle central du livre dans l’islam, la puissance sociale associée à sa collection, sont le creuset de bibliothèques dont le nombre et le faste sidèrent les voyageurs occidentaux. Nés dans le califat des Omeyyades à la fin du vii e siècle, développés par les Abbassides après 750, ces « cabinets de la sagesse » puisent à l’imaginaire

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