Bible | Dorival, Gilles

Bible 165 chrétien est la Bible grecque, et non la Bible hébraïque. Le triomphe de la vérité hébraïque (hebraica veritas) chère à Jérôme est en fait assez récent et il n’a jamais été total : la Bible de l’orthodoxie est la Septante, en grec ou dans une de ses tra- ductions. Au sein de l’Église catholique, c’est la Vulgate latine, et non la Bible hébraïque, qui, durant longtemps, a été traduite dans les langues vernaculaires modernes. Mais, dans les pays marqués par la Réforme, les traductions sont faites à partir de l’hébreu, sauf pour les livres qui n’existent qu’en grec : c’est le cas de la traduction allemande de Luther (1522 et 1534) et de la traduction anglaise du roi Jacques (1601). Au xx e siècle, les Bibles catholiques sont traduites elles aussi à partir de l’hébreu, ainsi la Bible de Jérusalem. La fin du xx e siècle voit se manifester un regain d’intérêt pour la Septante, dont des traductions ont été réa- lisées, ou sont en cours d’élaboration, en Allemagne, dans les pays anglophones, en Espagne, en Italie, en France, en Grèce, en Roumanie. La Bible grecque offre des différences qualitatives avec la Bible hébraïque. Elles ne sont pas de l’ordre de la faute et du contresens, mais renvoient à des traditions d’interprétation du judaïsme d’époque hellénistique. En ce sens, la traduction est proche de l’herméneutique. L’herméneutique juive et chrétienne ancienne est fille de la tradition grecque, pour qui Homère expliquait Homère et qui distinguait entre le sens apparent et le sens profond des textes. La Bible explique la Bible : elle forme un tout cohérent ; par exemple, le sens du mot « commencement » en Genèse I, 1, se laisse définir grâce à Proverbes VIII, 22 (« Moi, la Sagesse, Dieu m’a fondée comme commencement de ses voies ») et Psaumes XXXII, 7 (« par le logos du Seigneur les cieux ont été affermis ») ; le commencement n’est autre que la Sagesse et la raison-parole de Dieu ; chez les chrétiens, le logos du Seigneur est identifié à Jésus en Jean I, 1 (« au commen- cement était le logos  ») : le commencement est Jésus. La Bible a un sens appa- rent, qui est souvent d’ordre historique ; mais elle a aussi un sens profond, qui se laisse décrypter grâce à l’allégorie. Il arrive qu’un texte n’ait pas de sens appa- rent : chez les Sages, le Cantique des cantiques n’est pas un chant d’amour éro- tique ; il a seulement un sens profond et décrit l’amour entre Dieu et Israël. Chez les chrétiens, l’Ancien Testament est vu comme l’esquisse du Nouveau Testament, qui l’accomplit. Par exemple, Josué entrant dans la Terre promise est le type, la figure, de Jésus faisant accéder les hommes au salut ; cette inter- prétation a été favorisée par le fait que Josué se dit en grec Jésus. La distinction entre sens apparent et sens profond se complexifie avec le temps. Le Moyen Âge chrétien développe la théorie des quatre sens des Écritures : les sens historico-­ littéral, allégorico-spirituel, tropologico-moral et anagogico-eschatologique. Les Sages distinguent eux aussi quatre sens des Écritures. La période qui s’ouvre à la Renaissance a rompu avec cette doctrine des niveaux de sens des Écritures : elle évacue le sens profond et figuré au profit du seul sens historique et littéral.

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