Arsenal | Acerra, Martine; Buti, Gilbert

Arsenal 121 À Civitavecchia, ainsi que dans d’autres villes d’Italie ou de Malte, on perçoit une certaine structuration cultuelle chez les captifs musulmans avec la présence de «  papassi turcs », qui remplissent une fonction religieuse. Les situations ita- liennes, espagnoles ou portugaises montrent des « communautés musulmanes » davantage constituées, et à Civitavecchia, le père Labat, qui visite au début du xviii e siècle l’arsenal, décrit le pilaf cuisiné par les galériens turcs ; les entrées de couscous en France ont peut-être été prioritairement destinées aux galériens musulmans de Provence. Le brassage d’hommes se retrouve aux siècles suivants, dans ces complexes navals que sont les arsenaux, avec les travailleurs libres venus d’horizons géographiques variés et de cultures différentes. Au reste, ces concen- trations ouvrières facilitent la diffusion des idées nouvelles et ont parfois joué un rôle politique de première importance : rappelons simplement au fil des siècles et dans le seul cas de Toulon, les journées révolutionnaires du printemps 1789 décryptées par Malcom Croock et Michel Vovelle, celles du temps du socialisme utopique avec la grande grève de 1844‑1845 analysée par Maurice Agulhon et les actes de résistance durant la Seconde Guerre mondiale mis en lumière par Jean-Marie Guillon. La fourmilière humaine, qui s’active autour des chantiers et des magasins, des bâtiments administratifs et des hôpitaux, appartient à un éventail de métiers spécialisés et très hiérarchisés auxquels s’agrègent une masse de manutention- naires (charpentiers ou « maître de hache », scieurs de long, calfats, voiliers, poulieurs, sculpteurs, cordiers, remolats ou fabricants de rames, serruriers, ferronniers, cordonniers, barrilats ou tonneliers, peintres, en attendant les mécaniciens, électriciens et chaudronniers…) et un groupe de gestionnaires, organisateurs, administrateurs de l’ensemble productif soucieux du détail, de l’ordre et de la classification. Dans ces laboratoires que sont les arsenaux sont testés les bois, les métaux, les toiles, les cordages par des hommes de science futurs ingénieurs. La construction du navire long se prête aisément à une répar- tition normée des tâches permettant une forme avancée et précoce de stan- dardisation. La rationalisation de l’espace qui en découle (cales entourées de magasins, hangars pour le stockage rationnel des bois de marine, entrepôts de proximité pour l’avitaillement des navires, corderie, voilerie, avironnerie) inspirera les réflexions et les tentatives d’organisation identique pour la produc- tion des vaisseaux de haut bord, réalisations efficaces qui n’apparaîtront qu’à la fin du xviii e siècle en Atlantique. Véritable ville dans la ville avec sa hiérarchie de métiers, ses rythmes de vie et son tracé organisationnel, l’arsenal jouxte une ville au parcellaire distinct qui vit en symbiose économique et sociale avec lui ; il est souvent le poumon de la ville-port qui l’abrite. Aussi, l’antériorité organisationnelle et spatiale de l’arsenal méditerranéen explique la fascination qu’exercent, jusqu’au xvii e siècle compris,