Arsenal | Acerra, Martine; Buti, Gilbert

Arsenal 120 Dès l’époque médiévale, l’arsenal présente le caractère original d’une concen- tration d’hommes et de techniques dont l’objectif est de fabriquer, en nombre, l’objet manufacturé complexe qu’est un navire de guerre. À la fin du Moyen Âge, Venise comme Constantinople peuvent mobiliser 3 000 hommes, sans compter la main-d’œuvre contrainte. Toulon, au xviii e siècle, au moment des fortes demandes liées à la guerre d’Amérique, en emploiera le double, nombre auquel s’ajoute la force de manutention des bagnards. Au temps de la splendeur des galères (du xvi e siècle au début du xviii e siècle) les chiourmes présentes dans les arsenaux méditerranéens comprennent des rameurs volontaires ou bonevoglie , des vagabonds et oisifs raflés par la maré- chaussée, des captifs composés surtout de Turcs et Barbaresques en chrétienté et de chrétiens dans le monde musulman, mais aussi de condamnés par les cours souveraines « à ramer sur les galères du prince » ; parmi ceux-ci, les plus nom- breux à Marseille au temps de Louis XIV étaient les déserteurs, les contrebandiers (tabac, sel) et les condamnés de droit commun (voleurs). Comme l’a démon- tré André Zysberg, les condamnés pour fait de religion, à savoir les protestants, y sont alors minoritaires. Cette cohabitation n’est peut-être pas étrangère au développement, dans les arsenaux qui abritent des bagnes d’une certaine socia- bilité qui commence par l’usage d’une langue commune ou lingua franca . Ainsi que le rappelle Cervantes, qui a fréquenté le bagne d’Alger, « la langue usitée par toute la Barbarie et à Constantinople entre les esclaves et les Maures […] est un mélange de toutes les langues dont nous nous servons pour nous entendre tous ». À l’enfer méticuleusement organisé pendant les courtes campagnes en mer, s’opposent des conditions de vie plus clémentes lorsque les galères sont désarmées dans l’arsenal. Chez ces « marginaux entre les marginaux », la vie quo- tidienne est faite d’une « étonnante juxtaposition de férocité et de tolérance » avec baraques sur les quais admises pour effectuer de petits travaux, boutiques en ville tolérées pour cette main-d’œuvre captive et lieux de prière autorisés. Si Voltaire évoque dans sa correspondance la présence d’une mosquée à Marseille – simple salle utilisée comme lieu de prière ainsi que le signale également en 1777 J.-B. Grosson, auteur de l’ Almanach historique de la Ville de Marseille – et d’une maison transformée en mosquée à Toulon, force est de reconnaître que les responsables de l’arsenal n’emploient pas ce terme ; au vrai, on a longtemps qualifié par erreur, à Marseille, de « mosquée de l’arsenal des galères », un petit édifice au décor orientalisant, reste d’un kiosque guinguette des années 1860. Les autorités algériennes se plaignent à plusieurs reprises de ce que la liberté reli- gieuse autorisée à leurs captifs, avec la présence de chapelles dans leurs « bagnes », n’ait pas d’équivalent en France, déplorant également l’absence de cimetière musulman, alors que selon les témoignages de galériens protestants, les musul- mans disposaient à Marseille comme à Toulon de lieux réservés à l’inhumation.

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