Anis | Kazan, Rudyard

Anis 87 Mais les alcools étaient présents dans tout le Maghreb avant la venue des Européens. Comme il était interdit aux musulmans de fréquenter les débits de boissons, certains, qui se conformaient à la tradition ottomane, buvaient à l’in- térieur des demeures à l’abri des regards indiscrets pour ne pas s’exposer à la censure des dévots. S’apparente au pastis et à ses succédanés, l’ouzo grec, différent de son cou- sin crétois, le tsípouro ; ce dernier est proche de l’arak libanais et syrien ainsi que du raki turc, lesquels sont des eaux-de-vie anisées principalement à base de raisin. Le raki est considéré comme la boisson nationale des Turcs qui, malgré la prohibition coranique, sont des buveurs invétérés, et ce, depuis l’époque de l’Empire ottoman qui avait adopté la doctrine hanafite tolérant une consom- mation modérée d’alcool. La consommation de l’alcool à Constantinople au xix e siècle peut nous servir de modèle pour bon nombre de villes de l’Empire. En effet, c’était une cité pluri­ ethnique de plus d’un million d’habitants avec un nombre plus ou moins égal de musulmans et de non-musulmans. À l’aube du xix e siècle, la consommation de l’alcool était interdite et confinée dans les quartiers non musulmans. François Georgeon (2002, p. 18) affirme que l’alcool était principalement fourni par les Juifs, les Arméniens et les Grecs. Ces trois communautés habitaient chacune dans des quartiers qui leur étaient propres et dans lesquels des tavernes étaient tenues par des propriétaires non musulmans. Dans les provinces arabes, la population turque était réduite aux troupes de l’armée, les janissaires, qui consommaient du raki. Le buvaient-ils parce qu’ils étaient turcs ou parce qu’ils étaient des soldats ? Toujours selon Georgeon, dans l’Empire ottoman, on buvait, toutes classes confondues, du vin et du raki. Mais la répression contre l’alcool fit qu’on le pre- nait en cachette, à la maison, dans l’arrière-fond d’une boutique, ou bien, déguisé, dans les quartiers chrétiens ou juifs. D’autres pratiques, tel le fait de boire du raki et de l’eau séparément dans deux verres sans les mélanger, subsistent jusqu’à aujourd’hui. Un autre facteur contribuant à la propagation de la consomma- tion de l’alcool était celui des traités commerciaux signés après 1838 avec les puissances européennes qui rendirent le commerce plus libéral et introduisirent de nouvelles boissons alcoolisées dans l’Empire. Toutefois, malgré l’importa- tion d’alcools étrangers, le raki demeura l’eau-de-vie la plus demandée dans les tavernes qui commençaient à envahir les quartiers musulmans ( Ibid ., p. 18‑19). Cette réalité s’appliquait à toutes les villes de l’Empire, y compris Damas et Beyrouth. Morewood (1838, p. 45) assure que Damas distillait des raisins secs en y ajoutant de la semence d’anis. Mais seuls les chrétiens et les juifs avaient le droit de fabriquer de l’alcool. Cela est confirmé par Abdel Nour qui écrit que, dans le Damas du xviii e siècle, seuls les « infidèles » pouvaient boire des boissons alcoolisées dont la plus consommée était l’arak, ajoutant que « les récriminations

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