Alimentation | Herrscher, Estelle; Saunier, Elia; Sauvegrain, Sophie-Anne

Alimentation 78 des « produits du terroir mijotés par la mère nourricière » qu’évoquait déjà Igor de Garine en 1977. C’est pourquoi l’on observe un retour aux sources des patri- moines culinaires, avec la construction d’une « tradition » intemporelle s’oppo- sant à la junk food moderne, représentant la « sagesse du Vieux Monde face à la folie du Nouveau » (Poulain, 2005). Cela révèle un paradoxe entre, d’une part, la dérive alimentaire et la malnutrition en Méditerranée et, d’autre part, les recom- mandations de l’ oms . En 2009, les députés européens se sont également saisis de la question du régime méditerranéen dans l’intention de le promouvoir, au nom de la culture et de la diversité. Ces différentes actions ont contribué à sou- tenir la candidature menée par la Fondation du régime méditerranéen ( fdm ) et l’Italie, l’Espagne, le Maroc et la Grèce, pays membres du Centre international des hautes études agronomiques méditerranéennes ( ciheam) , afin de faire ins- crire le régime méditerranéen au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco, acté le 16 novembre 2010 à Nairobi (Mediterra, 2012). Les enjeux actuels de l’« alimentation méditerranéenne » semblent toutefois lar- gement dépasser les frontières du bassin méditerranéen et son inscription au patri- moine de l’Unesco. En effet, relativement aux enjeux sanitaires mondiaux, si nous tous sommes d’accord sur les bienfaits d’une consommation préférentielle d’acides gras insaturés (huile d’olive, moins de viande), associée à celle de fruits et légumes frais, il n’en demeure pas moins que, pour assurer la pérennité de notre espèce, c’est également un style, mais plus encore un rythme de vie différent qu’il faudra lui préserver pour les années à venir. Pour cela, les efforts de projets de recherche associant médecins et anthropologues doivent se poursuivre. Les enjeux écono- miques et politiques sont, quant à eux, plus insidieux et devront être considérés avec prudence et bon sens par les différents acteurs de la production à la consom- mation. Est-il raisonnable, au nom de la sauvegarde du patrimoine culturel, de faire du lobbying de certains produits alimentaires au détriment d’autres dont le seul inconvénient serait d’être élaborés en dehors du pourtour méditerranéen ? Au-delà de ces enjeux, il en reste encore d’autres, fondamentaux, impliquant his- toriens et anthropologues, pour cerner l’impact de l’histoire sur la mise en place de ces « alimentations méditerranéennes » d’hier et d’aujourd’hui. Par exemple, alors que les données historiques ont montré l’incorporation progressive, dès le III e millénaire avant notre ère, de nombreux aliments venus d’ailleurs, hors du bas- sin méditerranéen, les travaux épidémiologiques ont démontré l’existence d’une dualité alimentaire nord/sud pour des périodes contemporaines post-transition nutritionnelle. Mais, finalement, l’heure n’est-elle pas venue de déplacer le prisme de lecture afin de voir dans quelle mesure cette dualité alimentaire nord/sud, est/ ouest, au carrefour du biologique et du culturel, s’exprime en termes sanitaires pour les périodes historiques et préhistoriques ? Enfin, les enjeux resteront éga- lement culturels là encore ; s’il n’y a plus à remettre en cause les relations entre

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