Introduction

Introduction 15 aussi en train de vivre un renouveau, animé par une vigilance épistémologique accrue. L’ambition de ce livre est de contribuer, en toute modestie, au dévelop- pement de ce champ scientifique. Mais de quelle Méditerranée parle-t‑on ? Les contours de cet espace ne sont pas fixés avec précision. Plusieurs conceptions sont présentes : elles varient selon les disciplines, les écoles, les auteurs. Une vision extrêmement étroite considère la Méditerranée essentiellement comme une mer. C’est une vision de ce type qui prédomine dans les pages d’Élisée Reclus, l’un des pionniers de la construction scientifique de la Méditerranée au xix e siècle  7 . Reclus préfère se focaliser exclusivement sur la mer, car « les flots incertains de la Méditerranée ont eu sur le développement de l’histoire une importance bien plus considérable que la terre même sur laquelle l’homme a vécu  8  ». Pour lui, la Méditerranée est une « mer de jonction » qui met en communication trois masses continentales et des peuples différents. La configuration de la mer, favo- rable à la navigation, a été propice aux échanges économiques et intellectuels, et a été un facteur facilitant le développement de la civilisation. Une perspec- tive de ce type a été récemment défendue par l’un des plus importants historiens actuels de la Méditerranée. Professeur d’histoire méditerranéenne à l’université de Cambridge, David Abulafia est l’auteur d’un livre monumental  9 essentiel- lement consacré à la navigation, aux échanges commerciaux, aux interactions religieuses et culturelles, aux guerres navales. D’autres auteurs – et ce sont les plus nombreux – voient au contraire dans la Méditerranée une région qui s’étend au-delà des rives et pénètre dans l’arrière-­ pays, dans une mesure qui varie selon les perspectives des uns et des autres. L’espace méditerranéen a été souvent pensé en fonction de critères géographiques et climatologiques : le cœur de la Méditerranée coïnciderait avec l’aire de diffu- sion de l’olivier et avec les régions dont le régime de précipitations est marqué par des étés chauds et secs, et une saison froide relativement douce et plutôt humide. Or, ces traits « méditerranéens » ne caractérisent qu’une étroite bande de terre, située à proximité des côtes. Se dessine ainsi une Méditerranée certes assez cohé- rente, mais trop rétrécie, laissant beaucoup d’espaces vides à proximité de la mer. Une tradition de recherche, entamée par l’école géographique de Vidal de La Blache, a proposé une vision plus large, en mettant au centre de l’attention les 7. F. Deprest, 2002 ; R. Cattedra, 2009. 8. É. Reclus, 1876, p. 33. 9. D. Abulafia, 2012.

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