Introduction

Introduction 13 exalter le métissage. L’humanisme méditerranéen a fait résonner ses nobles péti- tions souvent négligées et le fascisme s’en est servi pour légitimer la quête d’un espace vital pour la dictature italienne. La Méditerranée a pu devenir le sup- port (peu efficace) de communautés « imaginées » par les institutions interna- tionales, ou pour des identités nationales en panne de référents à la suite de la crise du panarabisme. À côté des représentations de la Méditerranée engagées politiquement, on a un corpus immense de conceptions scientifiques, plus détachées, même si elles ne sont jamais complètement neutres et « innocentes ». La production scienti- fique n’a pas toujours été indemne de l’influence des déformations idéologiques du discours politique et des raccourcis du sens commun – en contribuant même à les alimenter, dans un va-et-vient difficile à démêler. Il est parfois ardu de tra- cer une ligne de démarcation entre les conceptions « scientifiques » et celles qui caractérisent les discours des autres acteurs, pour ne pas parler du dépôt complexe de significations et de symboles accumulés tout au long de l’histoire. Est-ce pour toutes ces raisons qu’il faut en finir avec la Méditerranée ? Cette option nous semblerait trop radicale. Il faudrait plutôt, croyons-nous, suivre Gérard Chastagnaret et Robert Ilbert qui suggèrent « que l’on peut travailler sur la Méditerranée sans poser son identité en dogme, sans confondre champ scientifique et idéologie  6  ». Avouons-le, cela est loin d’être facile. Il ne s’agit pas d’un acquis mais plutôt d’un objectif vers lequel œuvrer, avec une posture à la fois exigeante et modeste. Ce travail répond à un double objectif. D’une part, il s’agit d’exercer une vigilance réflexive constante sur les dérapages et les conta- minations idéologiques qui guettent toujours l’approche scientifique. D’autre part, il s’agit de jeter un regard distancié sur les discours de différents types qui prennent la Méditerranée pour objet ; les stéréotypes du sens commun et les topoi littéraires pourront ainsi être analysés et situés dans une perspective qui est à même de comprendre les ressorts de leur naissance et de leur perpétuation. Le problème est au demeurant plus général. Les écueils auxquels toute élabo- ration scientifique sur la Méditerranée est confrontée se présentent également ailleurs. Toute délimitation géographique, toute organisation des connaissances et des procédures de comparaison à travers leur territorialisation s’expose aux risques d’assumer de manière acritique des notions idéologiques. Une fois que l’on décide d’adopter un cadre intermédiaire entre l’échelle locale et l’échelle planétaire, l’on doit accepter de manier des catégories plus ou moins contami- nées par leur histoire. Certaines connotations de la catégorie « Méditerranée » expliquent probable- ment la virulence des attaques qu’elle a expérimentées. La Méditerranée n’a pas 6. G. Chastagnaret et R. Ilbert, 1991, p. 4.

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