Introduction

Introduction 17 qu’il faut parler à la fois : celles-ci à la mesure de la politique, ces autres de l’éco- nomie et de la civilisation  13 . » Ces formulations demeurent très fascinantes, même si elles sont difficile- ment formalisables (et même si dans l’œuvre de Braudel elles cohabitent avec des orientations plus traditionnelles, comme, par exemple, dans le chapitre sur le climat). Une conception semblable, marquée par une vision large, voire très large, de la région méditerranéenne, ressort du travail de Peregrine Horden et Nicolas Purcell, auteurs entre autres d’un livre influent qui embrasse l’his- toire de la Méditerranée sur trois millénaires, de la préhistoire tardive jusqu’au xx e siècle. L’angle de lecture choisi dans cette vaste fresque est celui des rela- tions avec l’environnement, conçues de manière sophistiquée. Pour Horden et Purcell  14 , les deux ingrédients de base qui donnent une unité au monde médi- terranéen, et en font un objet d’étude en soi sur la longue durée, sont, d’une part, l’extrême fragmentation topographique et, de l’autre, la forte connectivité entre microrégions. À leurs yeux, la spécificité de l’espace méditerranéen est d’être constituée par une infinité de micro-milieux, très fragmentés et menacés en permanence par les aléas climatiques et par des catastrophes naturelles. La nécessité pour ces micro-milieux de se protéger contre de telles menaces impose des échanges entre eux, ce qui engendre un système permanent de production et de distribution que ces deux auteurs désignent par le terme « connectivité ». Pour les deux historiens anglais, comme pour Braudel, il n’existe pas de limite linéaire de la Méditerranée, mais une pluralité de zones de transition dont il est difficile de saisir les limites. Une vision « large » et assez floue de la Méditerranée a caractérisé le courant d’études qui s’est développé au sein de l’anthropologie britannique depuis les années 1950. De nombreux travaux comparatifs, dirigés par Julian Pitt-Rivers et John Peristiany durant plus de trente ans, ont mis l’accent sur des thèmes unificateurs comme les valeurs sociales (honneur et honte, hospitalité, ami- tié), la parenté et la famille, la relation des communautés locales avec les unités sociales qui les englobent  15 . Mais il s’agissait d’une forme de comparaison qui n’aspirait pas à dessiner les traits d’une aire culturelle homogène. La création d’une spécialité méditerranéenne en anthropologie avait surtout un but heuris- tique : elle permettait d’échapper à l’enfermement dans des carcans nationaux et à la césure entre l’Europe méridionale et le Moyen-Orient. Les justifications d’un cadre unitaire à l’échelle méditerranéenne ne faisaient pas l’objet d’analyses 13. F. Braudel, 1990, p. 203‑204. 14. P. Horden et N. Purcell, 2000. 15. J. Pitt-Rivers, 1963 ; J. G. Peristiany, 1965 ; 1968 ; 1976 ; 1989 ; J. G. Peristiany et J. Pitt-Rivers, 1992.

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